Le documentaire « Prêt à jeter » a été diffusé sur la chaîne de télévision franco-allemande Arte, le 15 février dernier. Réalisé en 2010 par Cosima Dannoritzer, il évoque en 75 min l’obsolescence programmée des produits (dont le matériel informatique et télécom), entraînant tout à la fois une économie du remplacement permanent et une production continue de déchets.
Dans les années 1920 est né le concept d’obsolescence programmée : « un produit qui ne s’use pas est une tragédie pour les affaires ». Selon Wikipédia, le concept « regroupe l’ensemble des techniques visant à réduire la durée de vie ou d’utilisation d’un produit afin d’en augmenter le taux de remplacement. »
Il existe plusieurs façons pour obtenir (volontairement ou non) l’obsolescence :
- un défaut fonctionnel (une pièce qui casse rendant l’appareil inopérant, qui coûte à remplacer ou ne peut pas l’être, par exemple) ;
- la date de péremption (indication d’une date limite d’utilisation optimale, par opposition à la date limite de consommation, verrouillage avec date limite sur un logiciel ou une licence, certains DRM, etc.) ;
- indirectement (le produit est fonctionnel, mais il nécessite d’autres produits qui ne sont plus disponibles. Comme une imprimante et des cartouches d’encre, une console de jeu et des cartouches de jeux, un antivirus sans mises à jour, l’absence de support de sécurité sur un système d’exploitation le rendant inutilisable en toute sécurité, certains DRM nécessitant un serveur disparu, un téléphone sans batterie, etc.) ;
- par notification (à tort ou à raison, le produit vous signale qu’il doit être changé) ;
- par incompatibilité (le produit ne fonctionne plus avec les produits récents, comme un clavier DIN 9 broches ou PS/2 sur un ordinateur fournissant uniquement de l’USB, un modem série sur une carte mère sans port série, une puce d’imprimante qui n’accepte que les cartouches du fabricant — verrouillée juridiquement par les textes DMCA / EUCD tant qu’à faire —, etc. ;
- par esthétique : la mode a changé, nouvelle gamme de voitures chaque année, versions (bi)annualisées des logiciels (troll).
Les exemples évoqués dans le documentaire :
- l’ampoule électrique à incandescence, dont la durée de vie a été limitée par les industriels à 1 000 heures (cartel Phoebus) ;
- l’automobile et ses changements de gamme, initialement pour contrer la Ford T ;
- le bas nylon, trop résistant, qui a été dégradé par DuPont ;
- la batterie de l’iPod d’Apple des première, deuxième et troisième générations ;
- les imprimantes, dont certaines sont équipées d’une puce compteur, bloquant l’impression au-delà d’un nombre convenu de feuilles.
On voit évidemment que l’absence de spécifications disponibles d’un produit, les formats fermés, les interfaces matérielles / logicielles propriétaires, les brevets comme arme offensive anti-concurrence, ou les DRM comme verrous ou tueurs de produits, peuvent être utilisés pour programmer l’obsolescence, limiter / tuer toute « bidouillabilité » et tout hypothétique marché de l’occasion ou de recyclage par réparation.
Obsolescence programmée ou non, l’étude publiée récemment par Hardware.fr sur les taux de pannes du matériel informatique (cartes mères, disques durs, alimentations, mémoire, SSD, cartes graphiques) est particulièrement intéressante pour voir la variété des taux de pannes entre les constructeurs.
On pourra aussi rapprocher ces questions d’une récente émission de France Culture « Quelle est la pérennité des données numériques ? », faisant état des problèmes liés à la préservation des données, d’un patrimoine numérique. Entre le matériel qui défaille, disparaît et devient incompatible, les supports qui se dégradent, et le logiciel et ses formats fermés, ses DRM.
Faut-il un « allongement de la durée de garantie sur les biens de consommation » ? « D’une durée légale d’un an, la garantie du fabricant pour les biens durables pourrait être allongée – par paliers – à 10 ans » propose, dans une tribune du journal Le Monde, le professeur d’économie et directeur de recherche au Crédoc, Philippe Moati.
Faut-il penser violemment, comme le site d’analyse économique éconoclaste, que « ce documentaire [Prêt à jeter] est hélas d’une nullité intégrale. Parfois hilarant de bêtise, parfois nauséabond de complotisme, en tout cas, jamais informatif » ? En évoquant un « biais de perception » (on ne voit que le produit qui marche longtemps, pas tous ceux qui ont cassé avant), « une idéalisation du passé », etc..