Les trilogues correspondent aux négociations inter‐institutionnelles, tenues derrière des portes closes, entre la Commission européenne, qui est à l’initiative de la directive, le Parlement européen et le Conseil de l’Union européenne, présidé depuis janvier par la Roumanie. Les représentants du Parlement et du Conseil négocient dans le cadre du mandat qu’ils ont reçu de leur institution sur la base de versions amendées du texte initial. Dans le cas du Parlement, il s’agit du texte porté par Axel Voss voté le 12 septembre 2018, date que l’April avait qualifiée de journée noire pour les libertés sur Internet.
Trois dates de négociation étaient initialement prévues, celle du 13 décembre 2018 devant être la dernière. La nécessité d’ajouter une nouvelle date est loin d’être anodine, particulièrement à l’aune de l’échéance des élections européennes de mai 2019 et est révélatrice des tensions fortes autour de ce projet de directive. Elle est aussi symptomatique de la médiocrité de sa rédaction et de l’incompatibilité intrinsèque de ses dispositions avec les libertés fondamentales. Chaque rustine ajoutée, chaque tentative de répondre à une critique — atteinte à la liberté d’expression, filtrage généralisé et automatisé, disproportions des droits et responsabilités, insécurité juridique, etc. — ne fait que davantage confirmer que l’article 13 est un sac de nœuds inextricables.
Ne nous y trompons pas, étant donné le cadre de ces mandats et les informations qui filtrent, notamment par la démarche de transparence de Julia Reda, il ne fait aucun doute que le texte qui sortira de ces négociations, et particulièrement son article 13, sera rétrograde et liberticide et qu’il faudra se mobiliser pour pousser les parlementaires à le rejeter en bloc lors du vote final. Le site #SaveYourInternet, géré à présent par l’association européenne des droits numériques EDRI, sera sans doute une des principales plates‐formes de coordination et de ressources pour la campagne à venir.
Parallèlement à son action globale contre l’article 13, l’April s’est mobilisée pour obtenir, a minima, une exception pleine et entière pour les plates‐formes de développement et de partage de logiciels libres. Cela semble relativement acquis, encore qu’il faille considérer que, les négociations étant encore en cours, le texte n’est pas définitif. Quoi qu’il en soit, exception ou pas, l’April restera fermement engagée pour le rejet de la directive
Une exception pleine et entière des plates‐formes de développement et de partage de logiciels libres ?
Dès septembre 2017 l’April s’était mobilisée pour avertir des dangers spécifiques que le projet de directive faisait porter aux plates‐formes de développement et de partage de logiciels libres. Si les parlementaires ont été réceptifs à cette préoccupation, la dernière version votée excluant les plates‐formes de développement de logiciels libres, celle du Conseil limitait le champ de l’exception aux plates‐formes à but non lucratif, une exception déconnectée des usages réels et donc sans portée véritable.
Toutefois, les éléments à notre disposition nous permettent de penser que l’exception, inscrite à l’article 2(5), sera rédigée de manière à pleinement exclure les plates‐formes de logiciels libres :
- le caractère non lucratif ne sera pas un critère d’application de l’exception ;
- l’exception ne concernera pas seulement les plates‐formes dites de développement, mais également celles permettant le partage de code, explicitant ainsi que l’exception ne se limite pas aux forges logicielles, mais protège également les dépôts et les archives lorsqu’elles permettent du partage, sinon elles ne sont pas concernées par le texte de toute façon ; afin d’éviter toute ambiguïté les participants aux négociations seraient fortement inspirés s’ils adoptaient la formule « plate‐forme de développement et/ou de partage », developing and/or sharing plateforms, en anglais — le ministère de la Culture français ayant indiqué que cela ne devrait pas poser de problème.
L’April a en effet participé à deux réunions organisées en novembre et décembre 2018 avec la direction générale des médias et des industries culturelles du Ministère, afin de discuter du périmètre exact de cette exception. Mais, quelle que soit la formulation qui sera finalement retenue, l’Association de promotion et de défense du logiciel libre restera fortement mobilisée contre cette directive et appellera à son rejet par un vote le plus massif possible.
Elle abordera d’ailleurs ce dossier majeur lors de son émission de radio « Libre à vous ! » du mardi 29 janvier 2019, sur Radio Cause Commune (en FM sur 93,1 MHz en Île‐de‐France), donc après le dernier trilogue.