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Constats sur les plateformes de veille traditionnelles
On pourrait séparer les outils de veille existants en (au moins) trois catégories :
- les agrégateurs de flux RSS pour agréger l’information (ex. FreshRSS, Feedly) ;
- les outils de « bookmarking » pour stocker (ex. wallabag, Pocket) ;
- les médias sociaux pour agréger, partager et échanger (ex. Mastodon, Twitter).
Globalement on reste sur des usages relativement cloisonnés, à l’exception des médias sociaux qui combinent plusieurs étapes d’une activité de veille (ce qui explique sans doute en partie leur succès). Bien sûr, je grossis le trait, on trouvera aisément des contre-exemples.
D’autres problèmes viennent s’ajouter comme les fils d’actualité basés sur du défilement infini (générant un syndrome FOMO), les échanges courts et rapides des médias sociaux qui peuvent générer du stress et des échanges tendus, ou encore la difficulté à chercher et trouver les flux RSS dans le cas des agrégateurs.
Bref, personnellement, il me restait un petit goût amer en bouche en utilisant ces divers outils.
Et si on alliait média social et RSS ?
Entre donc en jeu flusio. Son ambition est de répondre à ma première frustration : pourquoi devoir utiliser plusieurs outils pour effectuer ma veille en ligne ? Agrégation, stockage, partage et échanges peuvent très bien se tenir en un même endroit. Concrètement, il se structure autour de quatre concepts principaux :
- les liens pointent vers le Web extérieur et peuvent être commentés ;
- les signets permettent de stocker des liens à lire ou à ranger plus tard (stockage) ;
- les collections permettent de ranger et de partager ses liens par thématiques, et peuvent être suivies par d’autres personnes (stockage et partage) ;
- le journal sélectionne des liens à lire depuis les signets ou les collections suivies (agrégation).
Si les liens stockés peuvent être commentés, ils le sont uniquement par la personne l’ayant ajouté : il nous manque alors la dimension d’échange au sein de flusio. Une dimension plus « communautaire » est bien prévue plus tard pour pouvoir échanger à plusieurs, mais l’histoire ne dit pas quand !
Et les flux RSS dans tout ça ? Il existe une petite astuce dans flusio : les flux sont des collections. Ils se suivent ainsi de la même manière que les collections créées par les autres personnes de la plateforme : via le journal.
Voyons maintenant deux spécificités qui font la particularité de flusio.
Un journal, pas un fil
La volonté que j’avais en proposant le mécanisme de journal était de casser l’hégémonie du « fil d’actualité infini ». Quoi de plus insupportable que de scroller pendant des heures sans arriver à décrocher de l’écran ?
Le journal se présente vide par défaut et affiche trois boutons pour le remplir :
- les dernières publications depuis ses collections suivies ;
- 3 liens de moins de 10 minutes depuis ses signets ;
- 1 lien de plus de 10 minutes depuis ses signets.
Les deux derniers boutons permettent de vider sa liste de signets tranquillement, en sélectionnant soit de courts articles, soit un article long lorsqu’on a plus le temps.
Le premier bouton quant à lui va sélectionner les 9 liens publiés le plus récemment dans vos collections suivies (incluant donc vos flux), et qui n’ont pas encore été lus. Il va également remonter tout au plus jusqu’à 3 jours en arrière. La philosophie derrière : vous ne pouvez pas tout lire et ce n’est pas grave ! Le plus important est de ne pas vous surcharger de choses à lire.
Une fois dans votre journal, les liens peuvent être marqués comme lus ou déplacés dans vos signets, ce qui les retirera du journal. Votre journal revient ainsi à un état vide, laissant la place à une nouvelle sélection de liens. À l’usage, on réalise que vider le journal génère un état de satisfaction, s’opposant ainsi à la frustration d’un fil infini.
Des flux accessibles
Au quotidien, il est souvent compliqué de trouver un flux RSS et rare de penser à suivre un site, surtout quand on n’utilise pas un agrégateur régulièrement. Grâce à sa dimension « bookmark », flusio peut aborder cette question sous un angle différent. En effet, lorsqu’un lien est ajouté dans flusio, les flux auto-découverts sont affichés à proximité pour signifier : « si cet article t’as plu, il est possible de suivre le blog associé ». Suivre un flux entre ainsi dans le fonctionnement normal des utilisateurs et utilisatrices.
Bien sûr, il est également possible d’ajouter directement un flux si vous en connaissez l’adresse. C’est particulièrement utile pour les sites qui n’annoncent pas leur flux dans leur en-tête HTML.
Aussi, comme je l’ai dit plus haut, les flux sont des collections dans flusio. Cela signifie qu’ils disposent de leur propre URL et peuvent être partagés. Par exemple, le flux des dépêches de LinuxFr est directement accessible sur Flus. L’avantage est qu’il devient possible de partager une telle adresse à une personne découvrant les flux RSS, sans la noyer sous des détails techniques.
Une dernière subtilité vient renforcer cette accessibilité et porte sur deux éléments de vocabulaire. Dans flusio, on parle uniquement de « flux » : exit les notions de RSS et Atom qui sont des notions avant tout techniques et peuvent augmenter la difficulté à comprendre le logiciel. Second élément de vocabulaire : on parle de « suivre » un site et non pas de s’y « abonner » afin d’éviter la confusion avec la possibilité de prendre un abonnement sur un site de presse par exemple. Ce terme de « suivi » est également mieux aligné avec le vocabulaire que l’on retrouve sur des médias sociaux plus répandus.
Financer pour mieux concevoir
Pour accompagner flusio (le logiciel) je propose également Flus (le service). Cela permet deux choses : proposer une instance du logiciel pour les personnes qui ne souhaitent pas l’installer elles-mêmes et financer le logiciel.
Cette dimension du financement est importante pour moi, car j’ai pour but de continuer à travailler à plein temps sur le projet (il s’agit de mon activité professionnelle actuelle). Les premiers mois ont été plutôt tranquilles car je bénéficiais d’un chômage confortable, mais j’attaque désormais une période plus incertaine étant arrivé en fin de droits.
Financer flusio me permet (et permettra) également de faire appel à des personnes extérieures pour m’aider. Aujourd’hui je bénéficie principalement de la participation de Maiwann qui m’aide grandement sur l’expérience utilisateurs et utilisatrices (UX). Ses premières contributions ont toutefois été financées de manière originale puisque nous avons fait un échange de compétences (i.e. je l’ai aidée pour le développement d’un de ses projets). On peut imaginer encore d’autres types de prestations rémunérées : amélioration de l’accessibilité, création d’une charte graphique plus cohérente, accompagnement sur la communication, etc. Bref, les idées ne me manquent pas !
Une question se pose alors : pourquoi chercher à rémunérer ces contributions au lieu de me baser sur du bénévolat, plus habituel dans le monde du libre ? C’est un long sujet, mais pour faire court, je cherche principalement à amener d’autres profils de personnes à contribuer au libre. Si le métier de développeur ou développeuse est généralement bien payé – favorisant ainsi les possibilités de bénévolat – cela peut être plus compliqué pour des métiers moins valorisés ou moins recherchés. Pourtant, je suis certain que ces regards différents seraient largement bénéfiques au libre !
Installer flusio chez soi
Comme dit précédemment, flusio est développé en PHP. Son installation est donc relativement simple et documentée sur le dépôt du projet. Cela consiste essentiellement à créer un fichier de configuration (i.e. un fichier .env
) et initialiser la base de données (i.e. une ligne de commande à exécuter).
Il n’y a aucune dépendance supplémentaire à télécharger hormis le framework cadriciel maison, ce qui se fait lors de la phase de git clone
. Les assets (CSS et JavaScript) sont packagées avec les nouvelles versions de flusio pour vous éviter d’avoir à le faire vous-même.
Il existe toutefois quelques particularités qui ne le rendent pas installable n’importe où :
- la seule base de données supportée est PostgreSQL ;
- le service doit être servi par du HTTPS (ce qui ne devrait plus être un souci en 2021) ;
- et il est conseillé de déléguer la gestion des jobs asynchrones au système d’init (ex. systemd), ou à une tâche Cron en dernier recours.
Il existe également une limitation liée à l’extension navigateur : elle gère aujourd’hui uniquement le service « officiel ». Il faudra donc la repackager pour votre installation si vous souhaitez l’utiliser.
Concernant les nouvelles versions, j’adopte un rythme relativement soutenu (5 versions en mai !) Les mises à jour sont donc fréquentes, mais relativement simples et, là encore, documentées.
Conclusion
flusio est un nouvel outil pour vous permettre de suivre l’actualité et organiser votre veille. J’adopte une position qui refuse le statu quo sur les fonctionnalités que je juge problématique (ex. le défilement infini remplacé par le journal) et je tente de concevoir un logiciel qui ne se contente pas de recopier l’existant. Il me semble qu’il s’agit d’une stratégie intelligente pour rendre le libre plus attractif auprès du grand public.
Si le logiciel est libre, il n’est en revanche pas communautaire… ou tout du moins pas dans une logique « méritocratique » qui a tendance à favoriser les contributions au code, au détriment d’autres types de contributions qui mériteraient d’être plus répandues au sein du monde du libre. Pour compenser cela, je cherche donc à générer un service rentable (Flus) afin de pouvoir en vivre et financer d’autres types de contributions.
Le projet est encore jeune (1 an) et les améliorations à venir sont nombreuses. Lors des prochaines semaines, toutefois, le rythme va ralentir pour me permettre de prendre le temps de comprendre les attentes et de prioriser les futures fonctionnalités. Une dimension plus sociale est notamment à attendre au sein de l’outil, mais sans doute pas avant la fin de l’année, voire 2022.
En attendant, il me semble que flusio est une solution déjà bien avancée pour effectuer votre veille en ligne et j’ai hâte de continuer à l’améliorer !