Les FAI ne manquent pas d'imagination
lorsqu'il s'agit de violer la neutralité
du réseau. Un exemple récent est décrit dans l'article de
Narseo Vallina-Rodriguez, Srikanth Sundaresan,
Christian Kreibich et Vern Paxson, « Header Enrichment or ISP Enrichment?
Emerging Privacy Threats in Mobile Networks », qui
consiste à modifier les flux HTTP
automatiquement pour ajouter, à l'insu de l'utilisateur, des
informations personnelles qui seront utiles aux publicitaires qui
gèrent les sites Web. Et cela se nomme cyniquement l'« enrichissement
des en-têtes ».
Un exemple de fournisseur de matériel et logiciel qui propose
cette technique est
Juniper mais il y en a plein d'autres qui fournissent aux
FAI sans scrupules des moyens de modifier les flux HTTP
(HTTPS, pour l'instant, protège contre ces
manipulations).
Est-ce que cette pratique est répandue ? On sait que, dans le monde
de l'accès Internet par mobile, la neutralité du réseau est violée
bien plus souvent (ce qui explique les campagnes marketing
répétant en boucle que bientôt, X % des accès Internet seront par un
mobile : il est important de convaincre les utilisateurs de passer
à des technologies où la triche est plus fréquente). Avec quelle
ampleur ? Les auteurs de l'article ont utilisé l'application Netalyzr pour
récolter des données à ce sujet. Sur les 300 opérateurs mobile
identifiés, 5 ajoutent des en-têtes qui compromettent la vie
privée de l'utilisateur, 6 ajoutent des en-têtes qui permettent de
suivre un utilisateur à la trace (remplaçant les
cookies désormais trop
bien connus des utilisateurs), 24 mettent des informations
techniques dans ces en-têtes, informations qui peuvent mener
également à des problèmes de vie privée (cf. RFC 7239).
Inutile de dire que la majorité des opérateurs en question sont
situés dans les pays du Sud, où la vigilance des citoyens et leurs
connaissances techniques sont plus faibles : nettement moins de
chances de se faire prendre en Jordanie
qu'en Californie !
Orange Jordanie fait partie des
« enrichisseurs d'en-têtes » et ajoute le numéro de téléphone du
client aux en-têtes HTTP qui seront récupérables par les
publicitaires sur le site Web visité ! L'en-tête utilisé est
msisdn:
. (Notez que la documentation
de Juniper citée plus haut utilisait
exactement cela comme exemple, avec juste le préfixe
x-
qui indique traditionnellement qu'il
s'agit d'un en-tête non standard.)
Le record appartient apparemment à
Vodafone Afrique du
Sud pour publier dans les en-têtes ajoutés le numéro
de téléphone et l'IMEI (depuis la parution de
l'article, ils semblent avoir arrêté).
Si la signification de l'en-tête ajouté subrepticement est
parfois évidente (comme msidn:
,
Mobile Subscriber ISDN, cité plus
haut), ce n'est pas toujours le cas. Par exemple,
Verizon met un en-tête
x-uidh:
qui semble dédié au traçage : il est
unique par abonné.
Enfin, il y a les en-têtes techniques, indiquant les logiciels
utilisés pour cette opération. En France,
SFR ajoute ainsi des
x-bluecoat-via:
(cf. la page Wikipédia sur cette sympathique
entreprise), et des
x-nokia-gateway-id:
. Très souvent,
l'opérateur (par exemple Bouygues et
SFR en France) ajoute un x-forwarded-for:
(en-tête depuis remplacé par un en-tête standard, cf. RFC 7239) qui indique l'adresse
IP privée et peut aider au traçage d'un
utilisateur. Sans compter les en-têtes mystérieux comme le
x-vfstatus:
chez SFR.
Bref, cet excellent travail de recherche montre que la neutralité de l'Internet n'est pas un
problème abstrait : elle est violée tous les jours, et il est donc
crucial qu'elle soit défendue.