Plusieurs organisations françaises viennent de signer un appel critique vis-à-vis de
l'IA, dans
le contexte du sommet IA
du gouvernement. Alors que je suis en général d'accord avec
ces organisations, cet appel me semble frapper à côté de la cible,
car il attribue à l'IA un rôle excessif.
À l'approche du sommet
IA, les discours technobéats se multiplient, affirmant que
l'IA va tout
résoudre et qu'il faut vite y investir des milliards de gigawatts
pour rester compétitif. Les injonctions à passer à l'IA, à accélérer
le déploiement de l'IA jusque dans nos brosses à dent, évidemment
connectées, sont répétées sans cesse. Face à ce délire marketing et
politicien, on comprend l'agacement des gens qui tiennent à garder
un regard critique sur le numérique. (Rappel : « critique » au sens
de « penser par soi-même, sans forcément suivre le discours
dominant », pas au sens de « jamais d'accord ».) Cet agacement peut
mener à passer complètement de l'autre côté et à dire que l'IA ne
sert à rien, voire qu'elle est 100 % néfaste.
Mais l'appel dont je
parlais a un autre défaut : il met l'IA à toutes les sauces. Par
exemple quand il dit que « elle [l'IA] est le plus souvent imposée
sans réelle prise en compte de ses impacts délétères sur les droits
humains » comme si ce n'était pas le cas de tout le numérique
(cf. par exemple le RFC 8280), et même de
toutes les innovations techniques. À lire l'appel, on a l'impression
que les choses allaient plus ou moins bien avant mais que l'IA a
entrainé une rupture qualitative. Ce qui est, paradoxalement,
exactement le discours des techno-béats qui promeuvent l'IA à tout
prix.
Qu'on attribue à l'IA des miracles ou au contraire qu'on l'accuse
de tous les maux, dans les deux cas, on fait l'erreur de croire
qu'il existe bien quelque chose qui s'appellerait « l'IA » et qui
aurait des caractéristiques qui en feraient quelque chose de très
distinct du reste du monde numérique. En réalité, « IA » est un
terme surtout marketing, sans définition précise, et qui a surtout
une longue histoire dans la communication plus que dans la
technique. (Notons qu'« algorithme »
est également souvent utilisé mal à propos mais ce mot, au moins, a
une définition rigoureuse.) Alors, oui, les LLM existent, oui, les logiciels de génération
de textes ou d'images ont fait des très gros progrès depuis quelques
années, des nouvelles techniques et des nouveaux outils sont
développés par les chercheur·ses, mais il n'est pas du tout évident
que cela change fondamentalement les questions qu'on se posait déjà
avant que ChatGPT ne remette l'IA à la
mode.
Par exemple, quand l'appel de Hiatus dit « dans l’action
publique, elle [l'IA] agit en symbiose avec les politiques
d’austérité qui sapent la justice socio-économique », c'est très
discutable alors qu'on n'a pas attendu l'IA pour casser les services
publics, souvent au nom de la dématérialisation (je recommande par
exemple l'excellent rapport
de la Défenseure des Droits sur
l'ANEF).
Bref, autant la critique du numérique est indispensable, autant
je pense que c'est une mauvaise idée que d'ériger « l'IA » en
phénomène spécifique.